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" Et si ce n'était ni toi, ni moi "

(mars 2010)

 

 

 

3h15. Vous êtes allongées dans le noir. La maison dort avec ses occupants, dans le silence le plus complet. Après avoir épuisé tous les sujets de ce genre de conversations spécifiques à l‘ambiance “confidences nocturnes avant de dormir”, vous êtes arrivées au point où la fatigue a suffisamment ralenti vos connexions synaptiques pour que vous n’ayez plus la force de parler.

 

Un gargouillis survient.

 

Tu aurais pu passer outre, et retourner à ta somnolence. Mais sans le savoir, tu commets déjà la première erreur de cette longue nuit.

« Tu n’as pas assez mangé ?

-  C’est pas moi 

-  Si, je suis sûre que ce n‘est pas moi. »

Pas de réponse. Et là, tu vas proposer trop vite une alternative qui n’aurait jamais dû ne serait-ce que traverser ton esprit. Tu réalises en même temps que tu la formules quel engrenage machiavélique tu invites, mais c’est trop tard : les mots sont sortis sans même que tu les contrôles.

«  Et si ce n’était ni toi ni moi… »

Ça y est, tu l’as dit. Trop tard pour reculer. Tu n’étais pas sérieuse bien sûr, mais déjà ton imagination est en marche, et le début d’un semblant de doute sur la vraisemblance de ton hypothèse s’introduit sournoisement dans ton esprit. Tout aurait pu s’arrêter là. Tu aurais pu évacuer rapidement ces pensées avec un peu de bonne volonté, et t’endormir quelques minutes après, comme si rien ne s’était passé. Mais tu as rappelé à ton amie une histoire qu’elle a soudain très envie de raconter.

« C’est marrant, ça me fait penser à cette histoire ou une jeune fille est seule chez elle. Elle est réveillée par un bruit de goutte d’eau qui l’effraie, et caresse son chien pour se rassurer. Ça recommence plusieurs fois, et le lendemain matin, elle découvre que le bruit provient en fait de son chien… dont le corps déchiqueté gît dans la baignoire où il se vide de son sang… »

Haha, marrant en effet… oui, tu la connaissais…

Sur cette anecdote tout à fait à propos donc, ton amie se retourne pour replonger apparemment dans l’état de somnolence qu’elle avait à peine quitté.

 

Tu décides d’essayer de dormir toi aussi. Mais le sommeil ne vient pas. Sans que tu y prennes garde, tu scrutes le silence de la maison, à l’affût. Tu refuses de te l’avouer, mais tes oreilles sont tendues, comme pour t’assurer qu’aucune goutte d’eau ne s’échappe d’un robinet mal fermé… Allez concentre-toi, endors-toi au plus vite et oublie tout ça ! Mais non, la machine est lancée.

Tu ouvres un œil, puis l’autre. La chambre est plongée dans l’obscurité… une obscurité si propice à la dissimulation… Mais non ! N’importe quoi ! Reprends-toi ! Franchement, combien d’histoires vraies as-tu entendues à propos de psychopathes s’introduisant chez les gens la nuit ! Ne te laisse pas dominer par ton imagination !

 

Tu respires, ferme les yeux à nouveau. Mais les images défilent en un flux incontrôlable. La seule faible source de lumière provient de l’unique fenêtre de la pièce : un vasistas qui s’ouvre sur la nuit presque au-dessus de vous. Et là c’est plus fort que toi : tu commences à fixer le ciel noir, et imaginant une ombre qui se dessine derrière la vitre, un regard inconnu qui te fixe dans ton sommeil… Cette fenêtre n’est-elle d’ailleurs pas entrouverte ? L’aviez-vous fermée avant de vous coucher ?

 

Non arrête ! C’est ridicule !

 

À nouveau tu fermes les yeux, appelant à toi le sommeil : il peut se passer n’importe quoi, mais pas tant que tu es réveillée !  À tes côtés, une respiration profonde et lente te confirme que tu es bien seule dans cette chambre.

Seule, éveillée.

 

Tu tentes de revenir à des pensées rationnelles. C’est quand même dingue ce qu’on peut aller chercher dans son imagination ! Tu le sais pourtant que les délires de l’esprit vont toujours bien au-delà de la vraisemblance, et qu’il y a un risque pour le moins infime qu’un dixième de ce que tu imagines puisse un jour t’arriver, et encore moins ce soir.

 

Mais tu doutes, c’est plus fort que toi. A travers tes paupières closes, tu visualises la porte. Cette porte blottie dans l’obscurité dont on ne voit pas depuis le lit si elle est entrouverte ou non. Des questions stupides te viennent : est-ce qu’elle grincerait si quelqu’un la poussait ? Le parquet permet-il d’approcher le lit sans produire le moindre son ?

Ton cœur n’arrive pas à apaiser son rythme. Tout autours de toi devient oppressant. Tu as presque l’impression d’être observée. C’est comme si du silence et de l’obscurité émergeait une présence qui occupe tout l’espace.

 

Arrête ! Tu es déjà allée trop loin, revient de tes égarements et dors !

 

Un léger grincement.

Tu sursautes. Ton cœur a fait un bond tandis qu’une poussée violente d’adrénaline se répandait en quelques dixièmes de secondes dans ton corps entier.

Qu’est-ce que c’était ?

Tes yeux scrutent l’origine du bruit. Ne vois-tu pas une ombre bouger ? La porte n’est-elle pas ouverte ?

Sans t’en rendre compte tu te rapproches sensiblement de ton amie.

Avant même que tu ais eu le temps de les retenir, des souvenirs de films ou de livres te reviennent, accélérant un peu plus ton rythme cardiaque. Des scènes de Paranormal Activity s’imposent par flash : tu  revois ce couple endormi, cette porte qui bouge seule, ce lustre qui s’agite, ces draps qui se soulèvent…

 

Ah non, surtout pas ! Ne rajoute pas une dimension paranormale à cette mascarade !

 

Et pourtant… cette présence que tu sens… tu t’éloignes encore un peu plus du rebord du lit, à l’affût du moindre son, du moindre mouvement. Impossible de freiner cet engrenage d’images qui défilent dans ta tête, tu te surprends même à sentir une respiration à tes côtés.

Tu es tendue et le moindre de tes muscles est prêt à se contracter en une fraction de seconde pour bondir.

Le bruit du vent couvre le reste : s’il y avait un grincement, un bruit de pas ténu, une goutte d’eau qui tombe, tu ne les entendrait sans doute pas… Ton ouïe est plus focalisée que jamais sur le moindre son tandis que tu essaies en vain de trouver le sommeil. Ton rythme cardiaque n’est toujours pas revenu à la normale.

Tu pries intérieurement pour que ce gargouillis ne recommence pas. Tu aurais pu ne jamais donner suite à ce bruitage intempestif tout à l’heure, tu aurais pu conclure que c’était ton amie et retourner à ta somnolence, mais tu l’as fait.

Il est 3h30, la nuit promet d’être longue…

 

 

Elodie PONT

 

 

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